Ce billet a été co-écrit par Julia Paltseva, analyste senior chez EDF, et Tuntiak Katan du Coordinator of Indigenous Organizations of the Amazon River Basin (COICA). Pour plus d’informations sur les crédits HFLD (High Forest, Low Deforestation), visitez le site edf.org/hfld.
Les forêts sont une composante essentielle de la solution au problème du changement climatique, et leur conservation efficace passe par l’autonomisation des peuples autochtones et des communautés locales. Partout dans le monde, les communautés autochtones et locales gèrent les forêts depuis des générations. Cependant, face aux pressions économiques croissantes qui poussent à l’abattage des arbres, les incitations actuelles conçues pour les maintenir sur pied sont largement inaccessibles aux communautés vivant dans des zones où la perte forestière est encore historiquement faible, ou zones à forte couverture forestière et à faible déforestation (HFLD).
Pour que le système d’incitation REDD+ soit globalement efficace et équitable et permette de réduire la déforestation, il doit récompenser tous les pays et tous les acteurs concernés, y compris les producteurs et protecteurs historiques du stock de carbone, comme les populations autochtones et les communautés locales. Nous devons mettre un terme à la disparition des forêts dans les zones où elle se produit déjà. Parallèlement, nous devons éviter l’intensification à l’avenir de la déforestation dans les zones où la perte d’arbres est historiquement faible – soit les zones HFLD.
Les gardiens de la forêt
Les peuples autochtones et les communautés locales sont par excellence les protecteurs des forêts, en particulier lorsqu’ils disposent de titres fonciers et de droits bien établis sur leurs terres. En Mésoamérique, les populations autochtones et les communautés locales gèrent la moitié des zones forestières. En Amazonie, les peuples autochtones gèrent plus de 30 % de la forêt tropicale et les images satellites montrent que les taux de déforestation dans les territoires autochtones ne représentent souvent que la moitié de ceux des zones alentour similaires. Les peuples autochtones et les communautés locales pratiquent généralement la gestion durable des forêts, par le biais de l’agroforesterie et d’une agriculture à faible impact, ce qui leur permet à la fois de répondre à leurs besoins et de conserver efficacement les ressources forestières.
En dépit de leur bilan positif en termes de préservation des forêts intactes, les communautés forestières ont reçu moins de 1 % de l’aide publique internationale directe destinée à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à ses effets au cours de la dernière décennie. En plus de l’aide internationale, le marché volontaire du carbone – qui a atteint un montant de près de 2 milliards de dollars US en 2021, soutenu par le secteur privé – peut apporter ce soutien financier si nécessaire. La demande des entreprises en crédits forestiers tropicaux devrait dépasser l’offre dès 2030. Cette réserve potentielle de crédit carbone en expansion rapide doit permettre de soutenir les acteurs forestiers sur le terrain, en particulier les populations autochtones et les communautés locales car ce sont souvent elles qui savent le mieux comment préserver la forêt. Il est essentiel que les flux financiers liés aux enjeux climatiques soient accessibles, inclusifs et équitables. Toutefois, la situation actuelle en matière de calcul des crédits carbone ne sera pas favorable aux communautés autochtones et locales sans un changement de règles applicables aux territoires HFLD pour déterminer les progrès en matière de réduction des émissions, avec par exemple l’inclusion d’un niveau d’émission de référence pour les forêts (NERF) différencié.
Un financement plus inclusif est nécessaire
Les populations autochtones et les communautés locales doivent être activement associées au processus de génération de crédits et bénéficier d’un accès direct au financement du carbone disponible pour les activités REDD+. Le « plus » de REDD+ représente la conservation et l’amélioration des stocks de carbone des forêts, ainsi que leur gestion durable, ce que les mécanismes de crédit HFLD encouragent très précisément. Les zones HFLD sont depuis peu connectées aux marchés et c’est pour cette raison que les personnes qui les gèrent ont maintenu de faibles taux de pertes forestières en ayant ainsi renoncé aux revenus de l’exploitation forestière et aux gains pouvant être tirés d’une utilisation plus lucrative des terres. Mais dans le même temps, le développement économique et l’augmentation des recettes publiques pour améliorer la couverture sociale sont un impératif dans de nombreux pays HFLD. Depuis des générations, ce sont les communautés autochtones et forestières qui assurent les services de conservation forestière, comme elles le font d’ailleurs encore ; ce sont donc elles qui ont le plus à gagner des méthodologies qui ajoutent valeur et crédit aux zones HFLD, et qui peuvent œuvrer au maintien d’un tel statut.
Le cadre actuel pour la comptabilisation du carbone, tant pour les versements basés sur les résultats que pour les crédits de réduction des émissions typiques, se fonde sur des NERF s’appuyant sur des mesures récemment opérées pour évaluer les progrès réalisés en matière de réduction des émissions. Cette approche signifie donc que les zones où il existe historiquement les émissions les plus élevées (résultat de la déforestation) sont celles où une réduction des émissions serait la plus effective pour générer des résultats véritablement notables. Mais canaliser le financement des actions en faveur du climat de cette manière pourrait aussi créer une incitation perverse à déboiser maintenant, afin d’accéder plus tard à un financement.
En outre, le fait de récompenser uniquement les régions où depuis longtemps la déforestation a été autorisée pose un véritable problème d’équité. En effet, les systèmes de comptabilisation actuels favorisent les résultats en matière de réduction et d’élimination des émissions uniquement Ce serait là un résultat pervers tout autant qu’inéquitable sur le plan climatique, et donc une injustice.
L’attribution de crédits aux zones HFLD grâce à un module comptable reconnaissant le succès de la protection des forêts serait le moyen de récompenser de manière appropriée les populations autochtones et les communautés locales dans leur rôle de gestionnaires et de gardiens forestiers. Les pays HFLD doivent donc envisager des méthodes alternatives tenant compte des menaces réelles auxquelles sont confrontées les forêts à ce jour encore intactes, et des mesures permanentes pour éviter que ces menaces ne se concrétisent. Un cadre normatif strict pour l’octroi de crédits carbone aux forêts tropicales, assorti de sauvegardes sociales et environnementales appropriées, ainsi que d’un système de vérification et de validation indépendant, contribuerait à un tel objectif. Au cas contraire, les marchés du carbone pourraient entraîner l’exclusion totale des gestionnaires forestiers les plus performants du monde et la non-reconnaissance des efforts supplémentaires évidents, déployés en faveur de la conservation des forêts par les communautés qui y vivent.
Ce sont les populations qui vivent dans les forêts et les gèrent efficacement qui doivent bénéficier de mécanismes de financement récompensant les stratégies de réduction des émissions, tout en préservant leurs moyens essentiels de subsistance. Pour sauver les forêts tropicales, les personnes qui les connaissent le mieux – les peuples autochtones et les communautés locales – doivent être associées comme il se doit à la prise de décision, et aussi à l’élaboration et à la mise en œuvre de plans de conservation des forêts et d’accords de partage des bénéfices qui en sont tirés. Les crédits REDD+ bien conçus, reconnaissant le rôle vital des zones HFLD peuvent être la solution pour débloquer le financement dont les pays riches en forêts tropicales, les peuples autochtones et les communautés locales qui en vivent, ont urgemment besoin pour les protéger. Mais cela ne sera possible que si les parties intéressées participent activement aux processus techniques destinés à mettre au point des méthodologies différenciées, telles que les calculs NERF et les conditions applicables aux zones HFLD, en comprenant que chacune se trouve à un point distinct sur la courbe de transition forestière par rapport à d’autres à forte déforestation.